J.-F. Audibert

L'art de faire le vin avec les raisins secs

Publié par Good Press, 2021
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066074630

Table des matières


ECHO UNIVERSEL
AVANT-PROPOS De la Première Edition parue en 1880
A MES LECTEURS
L’ART DE FAIRE LE VIN
CHAPITRE I Pourquoi le Vin de Raisins Secs?
CHAPITRE II Quels sont les meilleurs Raisins et à quoi les reconnaît-on?
De la falsification des Raisins secs, des MOWRA-FLOWER, de leur abus.
CHAPITRE III Du local et des ustensiles propres à la fabrication
CHAPITRE IV Soins à donner aux raisins avant la mise en cuves
CHAPITRE V Du Mouillage des Raisins secs
CHAPITRE VI Du Foulage
CHAPITRE VII De la Fermentation
Le Contrôle des Fermentations
CHAPITRE VIII Fabrication mathématique des Vins de Raisins secs et autres Vins
CHAPITRE IX Des dangers de l’Acide carbonique
Règles générales et utilisation de l’Acide carbonique
CHAPITRE X Les divers modes de fermentation
La fermentation à cuve ouverte
La Fermentation à cuve fermée
La fermentation Mathématique
CHAPITRE XI De la Fermentation rapide à l’usage des grands ou des petits fabricants
Garniture intérieure des Robinets
CHAPITRE XII Des fabrications Spéciales
La Fermentation du Moût sans Grappes
La Fermentation des raisins secs avec des raisins frais
La fermentation des Raisins secs avec le marc des Raisins frais
CHAPITRE XIII Moyen pratique de suivre la marche des fermentations
CHAPITRE XIV Du Sucrage
La fermentation des raisins, grappes, marcs, avec du sucre
CHAPITRE XV Résumé de la Théorie de la Fermentation
RÈGLES GÉNÉRALES
Expérience faite avec 1.000 kil. de raisins secs, au mois d’avril 1877
CHAPITRE XVI Du Décuvage et du Pressurage
CHAPITRE XVII Emploi des Marcs et Résidus
La distillation des Grappes
La Fabrication du Vinaigre
La Nouriture des Animaux
L’Engrais Végétal
La Fabrication du sous-acétate de cuivre, dit Verdet
La Fabrication du Carbonate de potasse
Emploi des Pépins
CHAPITRE XVIII De la mise en futaille et des soins à donner aux Vins
CHAPITRE XIX Du Soufrage
Mutoir Audibert
De la nécessité du Soufrage
CHAPITRE XX Du Collage
Du Fouettage
CHAPITRE XXI Du Soutirage
CHAPITRE XXII Des altérations du Vin de Raisins secs, leurs causes et leurs remèdes
De la dessication et des altérations qu’elle peut faire naître
Les vins de raisins secs aigre-doux.
Des Vins de Raisins secs nuageux
CHAPITRE XXIII Des maladies du vin de raisins secs
CHAPITRE XXIV Du Chauffage des Vins de Raisins secs
Appareil J.-F. AUDIBERT, pour vins chauffés, infusés, bouquetés, la fabrication immédiate et sans évaporation d’alcool, des Madère, Malaga, etc., Vermouth, Bitter, infusions alcooliques, l’obtention des Eaux-de-Vie, de Cognac, l’infusion à chaud et instantanée des plantes, dans l’alcool et le vin, sans évaporation.
CHAPITRE XXV Du vinage, du coupage et de la coloration des vins de raisins secs
CHAPITRE XXVI Aperçu général sur les raisins secs et leur vin
CONCLUSION
APPENDICE Circulaire de M. le Directeur général des Contributions Indirectes [59] .
LICENCE
Marchands en gros se livrant à la fabrication des vins de raisins sec, piquettes, etc.
Déclaration de fabrication
Prise en charge des quantités déclarées
Rendement et force alcoolique
Tenue des comptes, compte de fabrication.
Un compte général de fabrication;
Manquants
Eaux-de-vie employées à la fabrication des vins de raisins et autres similaires.
Distillation des vins de raisins secs, etc
Débitants se livrant à la fabrication des vins de raisins secs, piquettes, etc.
Récoltants distillant les vins de raisins secs provenant de leur fabrication
Circulaire n° 298 du 26 août 1880
1 re LETTRE Parue dans les principaux organes vinicoles en réponse à la circulaire ministérielle.
L’ART DE FABRIQUER LE VIN
2 e LETTRE
EXPÉRIENCE
Opinion de M. Maumené sur l’expérience de Petiot, relatée ci-dessus.
Analyse des Vins de Raisins secs
PETIT RÉSUMÉ A l’usage des Particuliers et Producteurs

ECHO UNIVERSEL

Table des matières

IVme ANNÉE

———

SON BUT

Se rendre intéressant auprès de tous et par tous les moyens possibles, tel est le mobile qui fait agir constamment l’Echo Universel. Ce journal de 12 pages de texte attrayant d’un bout à l’autre, s’occupe de Viticulture, de Commerce, d’Industrie, de Finances, mais surtout d’Agriculture.

CEUX QUE L’ECHO UNIVERSEL INTÉRESSE

L’Echo Universel s’adresse à tous: aux Viticulteurs, Agriculteurs, Commerçants, Industriels et à toutes les personnes qui ont besoin, pour leurs achats, de conseils et de renseignements. Chaque numéro contient des petits cours pratiques pour les vins, le pain, les conserves, etc., etc. En un mot, les mille et une choses nécessaires de la vie sont consignées dans cette intéressante publication. POUR TOUS CEUX QUI TOUCHENT A L’AGRICULTURE, CE JOURNAL EST INDISPENSABLE.

L’Echo Universel est le principal organe de la lutte contre le Phylloxéra, le Mildew et autres maladies de la vigne. Chaque numéro contient: Les nouvelles de tous les vignobles, les prix de vente des produits de l’agriculture, les prix-courants commerciaux, les résumés de toutes les découvertes, recettes et innovations vinicoles et industrielles parues dans tous les pays du monde.

RÉDACTION

La Rédaction de l’Echo Universel se compose d’écrivains les plus pratiques et les plus populaires. Pour l’étranger, un service spécial de correspondance a été organisé dans tous les pays de l’Union postale, afin de justifier le titre de ce journal et de donner la primeur des nouvelles offrant un véritable intérêt. Le nom seul de son Directeur et Rédacteur en chef, M. J.-F. AUDIBERT, dispense de tout commentaire.

PRIX DE L’ABONNEMENT, BÉNÉFICES QU’IL PROCURE

Le prix de l’abonnement est insignifiant: 6 fr. par an pour la France et 8 fr. pour l’Etranger. Les abonnements partent du 1er janvier et 1er août de chaque année. Tout nouvel abonné reçoit les numéros parus depuis cette époque jusqu’au jour de l’abonnement. Cette somme minime est encore remboursée par des cadeaux-primes, graines, etc., utiles aux agriculteurs et pouvant rendre 100 francs à l’année.

Cette année, l’Administration s’engage à acheter le produit des graines.

Sur demande, des numéros spécimens, seront expédiés franco.

BUREAUX: à Marseille, 53, rue des Minimes, Direction principale où doivent être adressées demandes, correspondances, abonnements, etc., pour éviter tout retard.

BUREAUX: à Paris, 25, quai des Grands-Augustins.

J.-F. AUDIBERT
J.-F. AUDIBERT

A LA MÉMOIRE DE FRANÇOIS AUDIBERT MON NOBLE ET VÉNÉRÉ PÈRE SOURCE DE TOUTES MES CONNAISSANCES

VIENT DE PARAITRE DU MÊME AUTEUR Pour faire suite au présent ouvrage et sur les demandes pressantes des lecteurs des éditions antérieures L’ART DE FAIRE LES VINS D’IMITATION Madère, Malaga, etc., Vermouth, Bitter, Sirops, Infusions, Liqueurs avec les vins de raisins secs et autres Renfermant toutes les recettes complètes, détaillées simplement, et nécessaire à tout fabricant, négociant, propriétaire distillateur, vigneron, ainsi que tous les renseignements et documents nécessaires pour ces fabrications, avec planches et figures. PRIX: franco, 5 fr. 25 LES RAISINS SECS LEUR MONOGRAPHIE ET CELLE DE LEUR INDUSTRIE PRIX: franco, 1 fr. 75 LA VIGNE SAUVÉE Cause des Maladies de la Vigne, Phylloxéra, Mildew, etc. Cet ouvrage contient avec, un grand nombre de gravures, reproductions photographiques prises sur nature, la description complète de cet insecte, ses ravages, le moyen de le détruire ne coûtant rien ni comme achat, ni comme application, la description DE TOUTES LES MALADIES DE LA VIGNE et les moyens de les combattre. PRIX: 3 fr. 50; franco, 3 fr. 90 LE SORGHO SUCRÉ HATIF DU MINNESOTA OU 600 FRANCS DE REVENUS CERTAINS A L’HECTARE PRIX: franco, 1 fr. 75 EN VENTE A Marseille aux Bureaux de l’ECHO UNIVERSEL d’agriculture 53, Rue des Minimes, 53 ET CHEZ TOUS LES LIBRAIRES

AVANT-PROPOS

De la Première Edition parue en 1880

Table des matières

Afin de rendre le jugement de mes lecteurs moins sévère à mon égard en parcourant ce traité, il est essentiel que je leur apprenne à la suite de quelles circonstances il a été fait.

Nul moins que moi ne songeait à devenir auteur.

Au mois de septembre 1879, M. le Ministre de la Justice, ne suivant pas en cela les traces de ses devanciers qui s’y étaient opposés, (l’honorable M. Dufaure entr’autres) lançait la circulaire considérant les vins de raisins secs comme une falsification.

Il m’incombait à moi, le créateur et promoteur en France de cette industrie, d’y répondre. Je le fis par la voie des journaux. Mes réponses eurent un immense retentissement; et dans la plupart des lettres, trop élogieuses, qui m’arrivèrent de toutes parts, aussi bien de France que de l’étranger, se trouvait émis le même vœu. «Donnez un ouvrage, écrivez un traité pour justifier la fabrication de ce vin, que la science, l’hygiène et la nécessité conseillent, en attendant que les faits, plus puissants que les mesquines coalitions d’intérêt privé, proclament l’excellence et l’impérieux besoin de cette boisson.»

Près de douze cents lettres de ce genre m’arrivèrent dans les huit jours qui suivirent ma première réponse à M. le Ministre.

Devant cette demande spontanée, je considérai comme une obligation d’y accéder, malgré la tâche écrasante dont j’allais assumer la responsabilité. Les encouragements ne me firent pas défaut, et fort de la sympathie dont m’entouraient nos plus illustres savants contemporains, tous prêts à me soutenir si je faiblissais et à appuyer ma modeste œuvre de solides et indestructibles travaux, j’annonçai dans la plupart des organes vinicoles l’apparition de mon traité.

Que de fois n’ai-je pas été sur le point de renoncer à ce travail, en envisageant les difficultés sans nombre que j’avais à franchir! Que de fois n’ai-je pas rejeté ma plume en songeant à ma témérité!

J’écrivais, moi humble et inconnu fabricant, un traité sur les vins après Chaptal, Gay-Lussac, le Comte Odart, Pasteur, Dumas, Maumené, etc., tous immortels par leurs travaux gigantesques, auprès desquels les miens font songer à l’audace de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, du bon Lafontaine.

Ici, je dois un hommage sincère et éclatant à ces savants aussi modestes qu’illustres. Tous ont encouragé mes efforts et m’ont permis de puiser à pleines mains dans leur profonde science dont ils ont accumulé les fruits, avec tant de labeur et surtout tant de persévérance dans leurs ouvrages.

Que ne m’est-il permis de graver ici en lettres d’or, dans un même élan de reconnaissance, les noms de: MM. Reboul, Maumené, Dumas, de la Souchêre, Pasteur, Derbès, et de tous ceux qui m’ont encouragé et soutenu dans mes premiers pas.

C’est plein de confiance dans l’amitié et la sympathie de mes lecteurs, que je n’hésite pas à me présenter devant eux.

Cet ouvrage a pour devise l’épigraphe que M. le Comte Odart avait placée sur la première page de ses œuvres publiées en 1837: «Point de préceptes, beaucoup d’exemples; de la simplicité des moyens la perfection des résultats.»

Dans ce but on trouvera réunies dans le cours de ce livre, toutes les innovations pratiques que j’ai pu recueillir à l’appui des assertions que j’avance; de plus, j’ai groupé sous forme d’appendice, à la fin de ce traité, les circulaires et documents sur lesquels s’appuie la fabrication des vins de raisins secs.

L’assurance de mes bonnes intentions me fera-t-elle trouver grâce devant mes chers lecteurs? C’est le vœu que j’ose exprimer, et je serais heureux, si des idées que j’ai semées dans cet ouvrage d’une forme parfois heurtée, pouvait résulter l’utilité que j’ai eu en vue en l’entreprenant.

Ces idées sont de deux sortes: les premières tendent à vulgariser la fabrication des vins de raisins secs en indiquant les moyens que j’ai reconnus les plus simples et les plus pratiques pendant ma carrière de fabricant; les secondes, à populariser les doctrines scientifiques, autour desquelles on ne saurait faire trop de lumière, surtout pour les questions d’alimentation qui sont d’un si haut intérêt pour toutes les classes de la société.

Marseille, le 31 décembre 1879.

J.-F. AUDIBERT.

A MES LECTEURS

Table des matières

Quelques mois se sont à peine écoulés que mes prédictions se sont accomplies au-delà de toute espérance. Le vin de raisins secs, ainsi que toutes les grandes innovations de notre siècle, a eu à subir les épreuves les plus rudes dont il devait forcément sortir victorieux. Vainement on a tenté en haut lieu de lui opposer une infranchissable barrière au moyen d’une circulaire ministérielle. Je me suis constitué son champion, j’ai protesté énergiquement, soit par des conférences publiques, soit par des lettres publiées par la voie des journaux et adressées à MM. les Ministres et à MM. les Députés. Je défendais mon œuvre, mon enfant, en un mot, et ai dépensé là, toute l’énergie dont je pouvais être capable. Enfin, nous avons triomphé. Je dis nous avons triomphé, car le vin de raisins secs et moi avions lié d’une façon indissoluble notre destinée.

Aujourd’hui, le commerce en est libre. Par une circulaire en date du 26 avril 1880; M. Audibert, directeur général des Contributions indirectes, sur les instigations de M. le Ministre de la Justice, les rapports de la société d’Hygiène, de M. Reboul, doyen de la Faculté des Sciences, à Marseille, etc., a rapporté de la première circulaire parue en septembre 1879, tout ce qui entravait la libre circulation et le commerce des vins de raisins secs.

Je rends ici un juste hommage à MM. les Ministres de la Justice et des Finances, à ces hommes éclairés, qui, mus par le seul désir d’être utiles à leur pays, n’ont pas hésité de rétracter ce qu’ils avaient cru devoir faire pour le bien du peuple, et de reconnaître qu’ils s’étaient trompés. De pareilles rétractations, loin de diminuer le prestige des gouvernants, aux yeux des administrés, ne font que le relever et les faire aimer davantage. Les despotes seuls ne rétractent jamais.

Dans cette nouvelle édition, vous trouverez de nombreuses rectifications. Toutes les innovations que j’ai faites depuis deux ans y ont été consignées avec soins. De plus et par suite de ma correspondance avec un grand nombre d’entre vous, j’ai pu supprimer ce qui m’a paru inutile, et ajouter tout ce que j’ai jugé nécessaire. En un mot, je n’ai eu qu’un mobile, mes chers lecteurs, celui de vous rendre plus facile la tâche de la fabrication du vin.

Je voudrais pouvoir vous remercier aussi d’une façon toute particulière du succès que vous m’avez fait et des éloges beaucoup trop flatteurs que vous m’avez prodigués de toutes parts, onze éditions de 5000 volumes chacune, ont été épuisées en six ans. Je ne m’attendais pas à rencontrer dans le public une telle faveur. Mais ce qui a rendu mon étonnement plus grand encore, c’est de voir que tous les pays du monde, aujourd’hui, voulant le livre d’Audibert, fabriquent du vin de raisins secs. J’aurai peut-être ainsi permis de boire du vin à bon marché à des contrées qui jamais n’auraient pu jouir de ce bienfait. L’Amérique du Nord et du Sud, l’Ile de la Réunion, la Chine, les Iles de l’Océanie, l’Afrique centrale!!![1] etc., fabriquent et boivent du vin de raisins secs.

Le but unique que j’avais poursuivi, était de rendre service à la France. Il m’a été donné de voir se généraliser mon œuvre. C’est ma seule satisfaction, ma plus belle récompense; je me trompe, car ce à quoi surtout j’aspire de toute la force de mon âme, c’est à l’estime de mes concitoyens.

Marseille, le 25 février 1886.

J.-F. AUDIBERT.

L’ART
DE
FAIRE LE VIN

Table des matières

CHAPITRE I

Pourquoi le Vin de Raisins Secs?

Table des matières

C’était après la guerre de 1870-71, à la suite de nos malheurs; une clameur immense s’éleva du Midi de la France comme un triste écho des provinces si éprouvées du Nord. Le phylloxéra avait anéanti les vignobles du riche département de Vaucluse. Après la garance, invendable, le vin manquait complètement. A ce moment un appel impérieux fut fait à la science par le gouvernement, que la voix publique fit sortir de sa torpeur. Le terrible insecte, après avoir ravagé un département tout entier, s’avançait lentement et menaçait du même sort les départements limitrophes. On constatait déjà sa présence en de nombreux endroits des départements des Bouches-du-Rhône, du Gard, des Hautes et des Basses-Alpes.

Dans l’espoir de vaincre ce nouvel ennemi de la vigne, aussi facilement que l’oïdium, des promesses extraordinaires d’argent, de titres honorifiques, etc., furent faites par le Gouvernement et les Sociétés Savantes, à l’heureux innovateur qui trouverait le moyen de l’arrêter sinon de l’anéantir.

Le département de l’Hérault, seul, offrait un million de récompense. L’appât d’une pareille fortune devait forcément tenter bien des intelligences; de là ces nombreux soi-disant moyens de détruire le phylloxéra que les journaux enregistrèrent pendant plusieurs années avec fracas presque tous les jours.

Tous les sulfates, les phosphates et les carbonates y passèrent: hélas! les résultats nous les connaissons malheureusement tous trop bien. La plupart de ces remèdes détruisent certainement le phylloxéra; mais que de vignes sont mortes, de l’essai qu’on a fait sur elles, de tous ces véritables poisons anti-phylloxériques.

Des premiers, peut-être, je me suis occupé de cette importante question. Habitant le département des Bouches-du-Rhône et ma famille y ayant des propriétés, j’ai, pour ainsi dire, suivi la marche du fléau pas à pas[2].

Moi aussi je crus, après avoir essayé sur nos vignes tous les moyens connus, moi aussi, dis-je, j’eus un moment l’illusion d’être arrivé à une solution. C’était par ma méthode de l’inoculation des vignes, c’est-à-dire la vaccination. Ma découverte fit le tour de la presse, j’eus de fervents disciples, et l’honneur de voir discuter mon idée dans les Académies de Sciences.

Voici du reste en quoi consistait mon procédé et sur quel raisonnement il reposait: les véritables agriculteurs me comprendront tout de suite.

Etant donné que les racines d’une vigne de 3 à 5 ans sont à un mètre de profondeur au moins, la chevelure et les radicelles sont éloignées d’autant du tronc; pour atteindre le phylloxéra, il faut arriver jusque là, car c’est généralement par le bas qu’il tue les ceps.

Or, si le remède est énergique, il en faut peu, afin de ne pas tuer la vigne; mais alors l’éloignement dans lequel se trouve l’insecte le met à l’abri; tandis que si l’on en met beaucoup pour l’atteindre on tue la vigne.

Voilà, en peu de mots, le cercle vicieux dans lequel tourne la science. Je voulus en sortir et atteindre le but par un moyen diamétralement opposé: «Pourquoi, me dis-je, au lieu de chercher à tuer directement le phylloxéra, ne donnerions-nous pas à la vigne elle-même, la force de l’éloigner ou même de le tuer?»

Je cherchai un agent que le règne végétal acceptât et que le règne animal rejetât. J’avais trouvé: le sulfate de fer. Pour faire mon opération je l’employais ainsi:

Après en avoir saturé de l’eau, je faisais, au moment du mouvement de la sève, un trou dans le tronc de la vigne; j’y versais un peu de cette eau et je rebouchais avec du mastic de l’Homme le Fort. La blessure se cicatrisait et la sève entraînait avec elle, jusque dans les plus petites radicelles, du sulfate de fer dont l’odeur seule devrait suffire à faire disparaître le phylloxéra, ou à l’empoisonner s’il eût persisté à se nourrir de cette sève.[3]

Mon moyen fut expérimenté dans de nombreuses propriétés; les rapports arrivèrent, comme pour les autres procédés employés, tantôt favorables, tantôt défavorables. Voyant que les savants ne s’y arrêtaient pas et que peut-être le résultat en serait le même que celui de nombreux moyens déjà connus et employés, je l’abandonnai; et, pour moi, le problème devint celui-ci:

Que boira-t-on en France dans 10 ans si le phylloxéra ne trouve point un adversaire assez puissant pour le détruire?

Je cherchai et trouvai le vin de raisins secs. Depuis quelque temps déjà la distillerie clandestine s’en servait pour obtenir de l’alcool de vin, mais la boisson obtenue par ce procédé sommaire ne constituait pas encore le vin proprement dit. Je dirigeai alors mes recherches de ce côté et je créai à Marseille la première fabrique de vin avec les raisins secs. Ce fut un évènement. A cette époque, les tribunaux avaient déjà été quelquefois appelés à statuer sur les falsifications des vins par des colorants artificiels. Quelques jugements rendus et bruyamment publiés dans les journaux avaient tellement mis en émoi l’opinion publique que le Gouvernement, à l’annonce d’une fabrique de vin, s’était presque refusé à en accorder l’autorisation.

J’adressai un rapport à MM. les Ministres des finances et de l’agriculture, dans lequel j’exposais sommairement ma fabrication et mon but et j’obtins enfin, après trois mois d’attente, cette autorisation si désirée. Le parquet, le conseil d’hygiène, etc., avaient été mis au courant de ce qui se passait.

Un an plus tard les fabriques de vin de raisins secs se chiffraient par centaines en France. Aujourd’hui le vin de raisins secs est populaire. Mes concitoyens m’ont bien vengé des attaques injustes dont j’ai été l’objet.

Dans cet ouvrage, je me suis efforcé, suivant les traces de mes illustres devanciers et maîtres: Chaptal, Thénard, Gay-Lussac, Pasteur, Dumas, Maumené, etc., de grouper le plus simplement possible, mes observations et le résultat de mes expériences, persuadé que les choses dites le plus simplement sont les meilleures. Ce ne sont point des belles phrases que le lecteur doit espérer y trouver; ma seule ambition est d’arriver à populariser encore davantage dans notre beau pays, cette boisson économique et hygiénique qui permettra de boire du véritable vin à bien des gens que la modicité de leurs ressources en empêchait jusqu’à présent.

Avec mon ouvrage, je procure aux viticulteurs atteints par le phylloxéra ou les maladies les moyens de se refaire une nouvelle récolte; enfin, aux négociants et aux commerçants, je démontre de quelle utilité est pour eux ce vin avec lequel on peut imiter tous les vins étrangers[4] au point de ne pouvoir reconnaître le vrai du faux. Atteindrai-je ce but? C’est mon plus cher désir; puisse cet ouvrage m’aider dans cette ambition.

CHAPITRE II

Quels sont les meilleurs Raisins et à quoi les reconnaît-on?

Table des matières

En général, pour faire du vin, tous les raisins secs sont bons; mais, ainsi que pour presque tous les produits obtenus par l’homme, la qualité dépend d’abord du choix des matières premières les plus favorables et les plus propices, et de leur plus ou moins intelligente manipulation.

Les raisins secs les plus employés pour la fabrication des boissons à cause de leur abondance, et partant de leur prix minime, sont:

Les Corinthe;

Les Thyra;

Les Samos;

Les Vourla, etc.

Corinthe.—Comme leur nom l’indique, les raisins de Corinthe nous viennent directement de la fameuse presqu’île péloponésienne. La récolte de ces fruits, généralement abondante, donne lieu dans ce pays à un commerce considérable. Il est inutile que j’entre dans les détails de la dessication qui intéresseraient fort peu le lecteur; cependant, d’une manière sommaire, à titre de renseignement, je dirai plus loin comment on l’obtient.

Les Raisins de Corinthe sont les plus petits de tous; ils n’ont pas de pépins et sont débarrassés du bois de la grappe, ce qui rend leur emploi des plus agréables. Les grains secs sont à peine de la grosseur d’un gros pois; leur propreté est remarquable et surpasse celle des fruits de la Turquie d’Asie (j’en donnerai plus loin la raison); ils nous arrivent dans des caisses et le plus souvent dans des sacs de 80 à 130 kil. Ils y sont tellement entassés et pressés que, confondus les uns dans les autres, ils ne forment plus qu’un seul et même bloc; c’est du reste ainsi que sont expédiés des pays de production tous les raisins secs.

A mon avis, c’est la qualité qui convient le mieux à la fabrication. Le vin une fois obtenu, leurs grappes ont divers emplois qui feront l’objet d’un chapitre spécial.

Répondant à la demande d’un grand nombre de mes lecteurs qui ne veulent avoir aucun des soucis occasionnés par le choix des raisins de Corinthe, je me suis rendu propriétaire, seul concessionnaire autorisé par le Gouvernement Grec, de la première des grandes marques: Le roi de Grèce. Les sacs en sont plombés, estampillés et la qualité maintenant est garantie extra premier, de premier choix, sans jamais plus craindre d’être trompé[5].

Thyra.—Les Thyra forment une variété de raisins secs qui est principalement expédiée de la Turquie d’Asie et surtout de Smyrne où les négociants les achètent et les entreposent pour les expédier ensuite dans tous les pays de consommation. Ces raisins sont de la grosseur des nôtres ordinaires, et loin d’avoir subi l’égrappage comme les Corinthe, ils possèdent toutes leurs grappes, c’est-à-dire le bois où les grains sont suspendus. Cette qualité produit aussi du bon vin ordinaire, mais sa finesse n’égale pas celle du vin de raisins de Corinthe; cela tient au bois de la grappe dont j’ai parlé plus haut. Il lui communique une certaine rudesse, qui, pour certains coupages et suivant les goûts, est peut-être préférable à l’état presque neutre du vin de Corinthe. On trouve souvent mêlés à ces raisins divers corps étrangers, tels que: dattes, figues, et surtout des pierres, qui constituent par leur poids un véritable bénéfice pour les expéditeurs.

Je conseillerai donc aux fabricants de vin, de bien veiller à ces divers cas que je signale, suivant les produits qu’ils voudront avoir.

Samos.—Les Samos, comme l’indique leur nom, sont originaires de cette île, qui est presque toute complantée de vignes. La bonté de ces raisins et l’excellente qualité des vins qu’ils produisent à l’état frais leur a fait une juste réputation. Qui ne connaît en effet, du moins de nom, les fameux vins de Samos, si estimés, si recherchés?

Les raisins Samos, vulgairement appelés gros grains, sont employés de préférence dans les fabrications où l’alcool est surtout recherché. Ces raisins de la grosseur de nos gros raisins morvêdes, grenaches, contiennent assez de sucre. Par une bonne fermentation, on peut recueillir de l’alcool de bonne qualité. La pellicule est moins rude que celle de la plupart des raisins secs. Les envois sont soignés et on y trouve moins d’impureté que dans les raisins Thyra.

Il est aussi des raisins Samos, dit Muscats, dont on tire un grand parti pour faire les vins d’imitation.

Vourla.—Ces raisins sont de beaucoup les plus beaux comme type courant. D’une grosseur égale à nos grosses panses, dites de Malaga, un consommateur ordinaire peut facilement s’y tromper; leur partie sucrée abondante les fait presque ranger dans la catégorie des raisins secs de bouche; leur couleur seule, d’un beau jaune d’or foncé, décèle leur origine, car le raisin sec de bouche est généralement noir. Cette catégorie de raisins Vourla, servira plutôt au fabricant pour les vins fins. On peut en tirer un grand parti et dans un autre ouvrage j’expliquerai comment on peut obtenir, avec ces raisins, des Madères, des Xérès[6] etc.

Cette qualité de raisins, par une anomalie étrange, est pourtant moins chère que les Samos.

Cette différence, dans les prix, provient de la répugnance involontaire qu’éprouve le fabricant à user de ces raisins qui sont d’une apparence trop belle pour servir à la fabrication et de l’irrégularité des arrivages de ces fruits.

Cette situation me rappelle ce qui se passa lors de l’arrivée à Marseille, des premiers Corinthe. Les raisins généralement employés étaient les Thyra et en quelque sorte c’étaient les seuls connus. Une maison de Patras, en Grèce, voulut expédier un chargement de raisins de Corinthe et les fit offrir aux négociants de Marseille qui s’empressèrent presque tous de refuser ces raisins, même au prix les plus bas. La vue de ces raisins minuscules, semblable à de rognures de pellicules desséchées de raisins secs, les leur faisait rejeter. Ils ne contiennent pas de sucre, disaient les uns; ils ne produiront presque pas d’alcool, disaient les autres. Je mis fin à tous ces bruits en affirmant leur richesse alcoolique, que des expériences rigoureuses et répétées m’avaient démontrée. Alors, au récit que je faisais de l’excellence des vins obtenus avec ces raisins, à la vue de mes échantillons, un revirement subit se fit dans l’opinion et les Corinthe furent demandés de préférence aux autres qualités.

Maintenant voici les traits distinctifs auxquels on reconnaît les bons raisins secs de n’importe quelle qualité.

On doit, si les raisins sont en sacs ou en caisses, ne point juger de leur valeur par les grains qui coiffent les sacs, c’est-à-dire qui se trouvent immédiatement au-dessus. Enfonçant la main le plus possible dans l’intérieur, on en retire une motte que l’on brise sur une feuille de papier. Seulement alors, vous pouvez les juger réellement. Assurez-vous d’abord si les raisins de l’intérieur de cette motte sont en bon état et s’ils n’ont pas subi une première fermentation soit à cause de leur mauvaise préparation, soit par suite d’un accident qui les aurait mouillés. Dans ce cas, les raisins sont ce qu’on appelle sucrés, c’est-à-dire que recouverts d’une couche cristalline, on les croirait trempés dans du sucre. Ils subissent, dans cet état, une dépréciation notoire pour le vendeur car le raisin n’a plus cette belle apparence de propreté qui est déjà un gage de sa bonté.

Quelquefois les importateurs, afin d’éviter les frais que nécessite la mise en sacs, mettent les raisins dans la calle des navires tels quels, c’est-à-dire en grenier; les raisins peuvent subir des avaries avec ce mode de transport et bien souvent le fond de la calle, humide, humecte les raisins qui fermentent plus tard une fois mis en sacs.

Le fabricant ne doit pas repousser à priori les raisins pour ce seul fait. Les grains ont bien perdu, il est vrai, mais ils font encore du bon vin. C’est au fabricant à les acheter au plus bas prix possible pour en tirer le meilleur parti.

Cette première inspection passée, on doit s’assurer si les grains sont bien charnus, c’est-à-dire s’ils sont nourris et si, en les coupant avec la dent, on sent ce gras du sucre qui constitue sa principale qualité.

Les variétés de raisins secs sont très nombreuses; j’ai signalé les plus employées. Cependant, depuis l’extension colossale que l’industrie des vins de raisins secs a prise en France à la suite de mes efforts, le commerce s’est approvisionné pour avoir des fruits, dans tous les pays qui en produisent. Je n’ai pu parler de ces diverses qualités dans mes premières éditions, parce qu’elles n’étaient presque pas connues. C’est ainsi, qu’on vend aujourd’hui pour fabriquer du vin, des Chesmes, des Chypre, des Denia, etc., tous raisins portant le nom de leurs diverses provenances; j’engage mes lecteurs à se méfier de toutes ces qualités de raisins secs, et à n’employer qu’une marque, en première ligne, que des Corinthe, dont la supériorité est incontestablement démontrée.